L’anthropomorphisme animalier fait les beaux jours de Disney depuis plus de soixante dix ans (Bambi, Les 101 Dalmatiens ou plus récemment Ratatouille), d’où la redoutable difficulté d’innover sur des bases si anciennes. Avec Zootopie, son 55e classique d’animation, le studio hybride deux formules largement plébiscitées par le public, mais de sources différentes: des animaux qui parlent et vivent comme des hommes (La Belle et le clochard au restaurant ou les enquêtes de Bernard et Bianca) mais en supprimant toute présence humaine (comme dans Cars de Pixar).
Dans la mégapole Zootopie, les hamsters portent des attachés-cases, les girafes sirotent des smoothies et les paresseux travaillent dans l’administration. La vie sociale de la cité, calquée sur notre modèle, apparaît adaptée au règne animal par l’entremise d’une évolution de taille. L’instinct sauvage des prédateurs a en effet fait place à une entente généralisée entre les diverses espèces, permettant à Judy Hopps (petit clin d’œil à la Judy Hoffs de 21 Jump Street), une jeune lapine idéaliste d’intégrer, grâce à un programme municipal, le poste d’enquêteur. Confrontée au « racisme » latent de ses collègues (des buffles, des éléphants ou des ours), le petit rongeur peine à trouver sa place jusqu’à ce qu’elle prenne à bras le corps une enquête concernant une étrange disparition. Avec l’aide de Nick, un renard arnaqueur, elle va mettre à jour un immense complot visant à déstabiliser l’harmonie inter-espèce de Zootopie.
Le Janus de l’animation
Byron Howard (Raiponce), Rich Moore (Les Mondes de Ralph) et Jared Bush, le trio de réalisateurs aux manettes de Zootopie, ont beau travailler pour Disney, il est de plus en plus évident que la patte Pixar s’imprime sur les longs métrages de la firme aux grandes oreilles (depuis 2006, le studio est devenu une filiale de Walt Disney Pictures). Si dans Zootopie, on retrouve l’habituelle chanson-titre qui vrille les tympans (un terrain sur lequel Pixar ne s’aventure pas encore, heureusement), l’ambition du film flirte avec la veine adulte intronisée par Pixar. Les clins d’œil cinéphiles s’enchaînent, en particulier un hommage irrésistible au Parrain, allant même jusqu’à l’autocitation (le fameux « libérée, délivrée ») voire la parodie. Cet humour décalé, presque ironique mais toujours bon enfant, irrigue Zootopie, confinant au génie lors de l’apparition du paresseux, personnage secondaire mais ô combien savoureux qui fera hurler de rire petits et grands pour des raisons sans doute différentes.
Fable moderne
La synthèse opérée par le film, entre la mièvrerie de Disney et la finesse d’analyse de Pixar, transforme Zootopie en une proposition des plus rafraîchissantes. Ce double discours permanent entre deux formes créatives distinctes et reconnaissables trouve d’ailleurs une incarnation dans le personnage du fennec, candide et corrosif à la fois. Bien que le récit, une enquête habilement menée par un duo improbable, tourne parfois à vide, provoquant des temps morts narratifs dommageables à l’ensemble, la contemporanéité des thématiques (le racisme, la peur de l’autre, l’intégration sociale face aux clichés) hisse le film vers le haut. On ne peut que saluer l’intelligence de certaines séquences, comme cette fugace scène de train où les anciennes proies renouent avec leur frayeur ancestrale des prédateurs. Dans un monde figé dans ses phobies, où la différence physique alimente toute sorte de fantasmes identitaires délirants, Zootopie, sous ses atours enfantins, joue avec les préjugés pour mieux les désamorcer avec drôlerie, mais non sans pertinence. Sorte de fable moderne, où les animaux véhiculeraient au-delà du rire comme chez La Fontaine une critique sociale bienvenue, Zootopie édifie un microcosme utopique, critique et hilarant.
Finalement, Zootopie, c’est un peu comme si les souris humanoïdes de Cendrillon évoluaient dans un monde-miroir bien à elles, moderne, technologique et expurgé d’humains à la manière de Cars. Cette combinaison inédite des savoir-faire de la major (le merveilleux des animaux parlants) et de Pixar (la citation et la réflexion post-humaniste) pourrait bien marquer un virage dans la production des nouveaux classiques Disney.