Après une édition 2006 carrément décevante, le jury présidé par Stephen Frears a déjoué les pronostics et mis en avant des œuvres qui méritaient tout le soutien et la reconnaissance nécessaires. La Roumanie obtient pour la première fois la reconnaissance suprême, preuve s’il en fallait de la vitalité de cet ancien pays communiste.
En 2006, la Palme d’or s’était révélée aussi décevante que celle de 2005 (L’Enfant) et celle de 2004 (Fahrenheit 9/11) : en consacrant pour la première fois Ken Loach avec un film qui avait profondément divisé la rédaction, (Le vent se lève), le jury avait fait preuve d’un manque d’audace qu’avait confirmé la présence d’un Bruno Dumont déjà célébré quelques années auparavant et de deux prix d’interprétation collectifs (l’un pour Volver, l’autre pour Indigènes). Ce refus de trancher ou de proposer un véritable renouvellement est aujourd’hui une histoire passée puisque le jury présidé par Stephen Frears et composé de personnes de qualité (Abderrahmane Sissako, Michel Piccoli, Maggie Cheung, Sarah Polley, Maria de Medeiros, Toni Collette) a choisi de mettre en lumière des œuvres exigeantes de cinéastes qui ne bénéficient pas encore d’une reconnaissance publique.
Si le Prix de la mise en scène, accordée à Julian Schnabel pour Le Scaphandre et le Papillon, reste la seule (grosse) fausse note du palmarès, on ne peut que se réjouir du sacre de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, de Cristian Mungiu, qui confirme, si besoin était, l’étonnante vitalité d’un cinéma roumain qui nous a déjà comblé ces derniers mois avec La Mort de Dante Lazarescu et 12h08 à l’est de Bucarest. Grand Prix du Jury, La Forêt de Mogari de Naomi Kawase confirme l’engouement pour cette cinéaste japonaise déjà remarquée pour ses précédentes réalisations dont la dernière, Shara, avait fortement impressionné la critique lors de sa sortie en 2004. Les récompenses accordées à De l’autre côté de Fatih Akin (Prix du scénario), Secret Sunshine de Lee Chang-dong (Prix d’interprétation féminine pour Jeon Do-yeon), Le Bannissement d’Andreï Zviaguintsev (Prix d’interprétation masculine pour Konstantin Lavronenko), prouvent l’intérêt du jury pour des films liés à l’intime là où Stephen Frears avait déjoué tous les pronostics en annonçant affectionner le cinéma de divertissement.
Avec une telle déclaration, le public et les professionnels pouvaient s’attendre à voir Zodiac de David Fincher, Boulevard de la mort de Quentin Tarantino, mais surtout No Country for Old Men des frères Coen, grand favori, obtenir les faveurs du festival. Il est d’ailleurs étonnant de voir que le cinéma américain, bien que très présent au sein de la sélection, n’aura obtenu que le Prix du 60ème anniversaire pour Paranoid Park de Gus Van Sant, précisément l’année où la qualité des films américains présentés est particulièrement impressionnante. Outre les films précités, l’absence notoire au palmarès d’un film comme La nuit nous appartient de James Gray détonne quelque peu. Il faut dire que la nationalité de plus en plus floue des films de la Sélection officielle rend presque obsolète la classification des films par pays d’origine. N’a t‑on pas vu un film chinois tourné aux États-Unis avec des acteurs anglo-saxons (My Blueberry Nights de Wong Kar-Wai, cloué au pilori) ? Un film français mis en scène par un cinéaste américain (Le Scaphandre et le Papillon de Julian Schnabel) ? Un film israélien mis en scène par un cinéaste français entièrement tourné à Jérusalem avec des comédiens de là-bas (Tehilim de Raphaël Nadjari) ?
Certains accuseront le jury d’un certain snobisme dans ses choix alors qu’au contraire, ce palmarès résolument sans concession replace un festival en perte de vitesse depuis quelques années sur la carte des grands rendez-vous culturels internationaux qui se font les témoins de l’Art en train de se faire. Plus que jamais, les films récompensés pour ce 60ème festival de Cannes attestent de la vitalité d’un cinéma bien ancré dans son époque, qui parle du monde dans lequel nous vivons — c’est peut-être ce que le jury aura reproché aux films américains, brillants mais d’une certaine façon déconnectés de l’actualité, ou même d’un certain cinéma français qui, lui aussi, repart les mains vides, si l’on excepte Persépolis qui a obtenu le Prix du jury pour le compte de l’Iran, en dépit de la qualité des films proposés, comme Les Chansons d’amour de Christophe Honoré ou Une vieille maîtresse de Catherine Breillat. Las : le choix de confier la récompense suprême au représentant d’un cinéma roumain que personne n’attendait mais qui, depuis deux ans, n’en finit pas d’étonner, donne un extraordinaire coup de jeune à un festival que l’on croyait (presque) définitivement mort. Un peu à l’image de son président, un Stephen Frears qui, décidément, ne cessera jamais de nous surprendre.