« La Purge, c’est Halloween pour les adultes ! » clame un vendeur de masques de carnaval dont les articles promettent d’être fort prisés à la nuit tombée. Il ne croit pas si bien dire – ou si mal.
Comme énoncé dans le premier The Purge alias American Nightmare (il y en a maintenant trois, tous écrits, réalisés et produits par la même équipe), la « Purge » est un événement instauré aux États-Unis pour chaque nuit d’équinoxe de printemps, où toutes les lois punissant les crimes et délits sont suspendues. Pendant ces douze heures, tout citoyen peut donner libre cours à ses pulsions les plus condamnables, dans un intermède cathartique contribuant à alléger le taux de criminalité pour le reste de l’année. Quant à ceux qui ne joueraient pas le jeu, il ne leur reste plus qu’à trouver un endroit sûr et tâcher de survivre jusqu’au matin… Cette idée de départ propose évidemment une certaine vision de la gestion – voire de l’instrumentalisation – de la violence américaine, et les suites du premier film se sont piquées d’étendre le champ de réflexion. Dans ce troisième épisode, la Purge est devenue une vraie institution nationale (attirant même des « touristes du meurtre » venus du monde entier) mais aussi un moyen d’oppression sociale entre les mains des classes dominantes.
La nuit des masques
À l’instar des velléités de critique sociale, le terrain de jeu s’est pareillement étendu. Le premier épisode était un thriller d’ « invasion domestique » concentré sur un pavillon familial ; le troisième fait traverser une ville de Washington en proie au chaos et à la folie meurtrière. Or, une chose ne change pas d’un épisode à l’autre : toutes ces belles idées de scénario d’anticipation ne font que fournir un prétexte à des récits de strict film de genre où l’entertainment prime résolument sur le discours, que ce genre soit home invasion, slasher, survival ou même western urbain (à ce stade de la franchise, on ne choisit plus trop). Ce qui n’aurait rien de gênant si cet entertainment ne recyclait pas systématiquement les ficelles les plus usées de l’action et du suspense, les stéréotypes sociaux et ethniques les plus dévitalisés, les gimmicks formels les plus machinaux, sans que jamais les prétentions contestataires du postulat lui inspirent quelque sortie des ornières, voire jusqu’à les contredire par son conformisme crasse.
Le fait même que le seul spectacle de défoulement de pulsion inavouable auquel se livre la population soit le meurtre, de préférence barbare et sous oripeaux carnavalesques, trahit des réflexes bien hollywoodiens d’American Nightmare 3 (comme des précédents), aussi sensationnaliste que prude (particulièrement asexué). L’horreur supposée d’une société livrée à ses démons est réduite ici à un défilé d’individus masqués, surarmés, inventifs dans leurs façons de tuer et aux vociférations de psychopathes, mais que le scénario téléphoné et la réalisation pataude (gros plans et ralentis pour jouer à faire peur) s’appliquent à rendre aussi effrayants que des attractions de train fantôme. La réclame du vendeur de masques cité plus haut prend tristement son sens : Halloween, en tant que fête lucrative, et la Purge telle que mise en scène dans ce film sont bien les pendants enfant et adulte de la même foire mercantile lourdement décorée, où l’on distribue des ersatz de sensations bon marché. Et les effets de style inoffensifs ne font que rappeler que des cinéastes d’une autre trempe que James DeMonaco eussent été capables de rendre cette foire aussi terrifiante qu’elle est censée être : un enlumineur furieux de freaks comme Rob Zombie, notamment – ou, meilleur encore, un critique intransigeant comme le fut John Carpenter, dont Zombie livra justement un intéressant remake de… Halloween.
Purge sur le cinéma
C’est là que l’allusion du vendeur de masques à Halloween laisse un goût bien amer. Tout au long d’American Nightmare 3, tandis qu’on suit sans conviction un héros au charisme de bûche et la blonde qu’il protège à travers une ville livrée à des ennemis de pacotille, un nom flotte dans notre esprit, un regret : John Carpenter. Avec lui, des titres parmi ses films, Halloween certes, mais surtout Assaut, New York 1997, et même un faible écho de Prince des Ténèbres à l’occasion d’une macabre scène dans une église. L’humanité livrée au Mal, la peur de la multitude anonyme, le pouvoir corrompu, la ville zone de guerre, les rapports sociaux et ethniques, ces films et ce cinéaste s’y sont frottés avec infiniment plus de rage sincère, de conscience amère et d’élégance de mise en scène, en sachant concilier à la perfection la jouissance de la série B et la fermeté du regard sur le monde, sans jamais devoir saper l’une ou l’autre, en osant faire des choix, tout simplement.
Une consistance libertaire à laquelle James DeMonaco, dont on se rappelle qu’il scénarisa un insignifiant remake d’Assaut réalisé par Jean-François Richet, s’avère parfaitement étranger. Si DeMonaco a de toute évidence biberonné dans la filmographie du maître, il semble prendre un soin particulier à vider ses références de leur sève, voire à les retourner comme un gant par sa soumission à toutes les vieilles recettes industrielles, ces combats et fusillades sans inspiration, ces blagues ethniques convenues (« on ne surgit pas dans le dos d’un Black ! »), ces dei ex machina attendus (qui gâchent notamment la scène la plus potentiellement glaçante du film, où les dirigeants moraux du pays s’apprêtent à commettre ensemble un meurtre rituel), ces relations creuses entre personnages. Ultime indice de trahison et de conformisme : parmi les compagnons de route des héros, on repère deux anciens délinquants rentrés dans le droit chemin mais amenés à sortir les flingues, moins par rébellion contre le système que parce que l’héroïsme selon DeMonaco exige des vigilantes. Finalement, cette Purge, dans la confusion qu’elle autorise dans la violence, fait l’affaire de tout le monde.