L’hystérie millénariste aurait-elle une décennie de retard ? Ces dernières années, les films qui traitent plus ou moins directement de la fin du monde se sont mis à pulluler sur nos écrans, un phénomène qui menace d’empiéter sur les années 2010 puisqu’on annonce d’ores et déjà – entre autres ! – un cinquième Terminator et une nouvelle version de 2012. La multiplication de ces œuvres et le succès public considérable qu’elles rencontrent sont trop rarement relevés ; on les regarde le plus souvent comme un phénomène de mode qui ne porte pas vraiment à conséquence. Elles sont pourtant, que leurs auteurs en soient ou non conscients, le reflet de la crise morale que traverse la civilisation occidentale, confrontée à des menaces globales sur lesquelles elle craint de ne pas avoir prise : dérèglement climatique, terrorisme international, pandémies. Et si les films de fin du monde n’exprimaient rien moins que notre sentiment d’impuissance collective ?
Apocalypse every day
Vous voulez assister à la fin du monde ? Rien de plus simple : prenez une place de cinéma ! Qu’importe le film que vous choisirez : un blockbuster (2012) ou un film d’auteur français (Les Derniers Jours du monde), l’adaptation prestigieuse d’un best-seller mondial (La Route) ou un film de superhéros (Watchmen – Les Gardiens), un film d’horreur parodique (Bienvenue à Zombieland) ou un dessin animé destiné a priori aux enfants (Wall‑E)… Dans tous les cas, la planète explosera ou sera recouverte de déchets toxiques, les extraterrestres détruiront quelques capitales, le soleil explosera ou nous enverra des neutrinos maléfiques, une guerre nucléaire éclatera et un terrible réchauffement climatique/nouvel âge glaciaire/tsunami/tremblement de terre viendra anéantir ce qui restera de civilisation. Car toutes ces œuvres des années 2000 confrontent – préparent ? – leurs spectateurs à la perspective de l’extinction de l’espèce humaine et de la fin du monde tel que nous le connaissons – que ces bouleversements se produisent effectivement sur l’écran, qu’ils soient montrés comme appartenant déjà au passé, qu’ils soient évités in extremis ou qu’ils restent à l’état de menaces latentes.
Sans se constituer en genre à part entière, ces films forment donc une communauté thématique pour le moins troublante. Pour plus de commodité, nous les regrouperons sous le terme générique de « cinéma pré-apocalyptique ». Nous nous concentrerons principalement, dans cet article, sur la production cinématographique américaine, qui nous semble à la fois la plus prolifique et la plus révélatrice. Signalons tout de même que la fin du monde n’est pas une obsession spécifiquement anglo-saxonne : le cinéma pré-apocalyptique a essaimé dans le monde entier, au Japon (le troublant Kairo) comme en France (la sous-estimée Possibilité d’une île). Précisons également que le cinéma n’est pas le seul moyen d’expression qui se nourrit de ces peurs millénaristes : outre la littérature, elles travaillent par exemple de nombreuses séries télévisées récentes (Jericho, Battlestar Galactica…). Vous n’y échapperez pas, on vous dit !
Une brève histoire de la fin des temps
Bien sûr, la perspective de la fin du monde n’a pas attendu les années 2000 pour titiller l’imagination des scénaristes. Il faut dire que son spectre hante depuis des décennies la conscience collective. Après Hiroshima, l’Humanité toute entière comprit qu’elle disposait désormais des moyens de son autodestruction. Pendant la Guerre Froide, la course aux armements nourrit cette prise de conscience, dont témoignent des films comme Le Monde, la chair et le diable (1959), Le Dernier Rivage (1960) ou Docteur Folamour (1963). L’homo sapiens n’était plus perçu comme l’aboutissement de l’évolution, mais comme un maillon faible dont le bellicisme menaçait l’équilibre de l’univers tout entier (Le Jour où la Terre s’arrêta, 1951), mais qui était destiné (heureusement ?) à céder un jour la place à d’autres espèces plus sages, ou plus fortes (Je suis une légende, 1964 ; La Planète des singes, 1967). Après des décennies de positivisme et de scientisme qui n’avaient été qu’écornées par la boucherie de la Première Guerre mondiale, le progrès technologique n’apparaissait plus comme un remède à tous les maux de l’Humanité, mais comme un moyen radical de hâter sa chute.
Quand, dans les années 1970, le cinéma commence à se faire l’écho de la contestation de la consommation de masse (Zombie, 1978) et des préoccupations écologiques naissantes (Soleil vert, 1973 ; Blade Runner, 1982), c’est timidement, à la traîne de la littérature de science-fiction engagée, autrement plus fertile en interrogations angoissées sur le devenir de l’Humanité. C’est que cette période est également marquée par un retour de bâton idéologique, qui culminera dans les années 1980 avec l’élection et les deux mandats de Ronald Reagan. Le cinéma pré-apocalyptique est alors supplanté par des films-catastrophes au propos moins ample – ce n’est plus la planète qui est menacée, mais un aéroport, un paquebot ou une tour (infernale) – et au sous-texte clairement réactionnaire. La représentation d’un désastre ne constitue plus un moyen pour prévenir l’Humanité des impasses dans lesquelles elle s’engage tête baissée, mais un prétexte pour célébrer le courage indomptable qui sommeille dans le cœur de l’Américain moyen, et surtout pour fédérer la communauté américaine autour de ses valeurs immémoriales : Dieu, la Famille, le Drapeau.
Pendant cette période, les tentatives d’évoquer une possible fin du monde restent rares et isolées. Elles utilisent le biais d’aventures post-apocalyptiques plus (les séries B Mad Max, 1979 ; Terminator, 1984) ou moins (les désastreux Waterworld, 1995, et Postman, 1997) convaincantes. Ce n’est qu’avec le succès planétaire d’Independence Day, en 1996, que le cinéma pré-apocalyptique semble enfin renaître de ses cendres. En réalité, il ne s’agit que d’un « super film-catastrophe » : la vision du monde reste la même (américanocentrisme, présidentolâtrie, éloge du melting-pot étasunien), elle est juste amplifiée par la certitude d’appartenir à la nation-élue (l’Amérique est alors au faîte de sa puissance économique, militaire et symbolique), et par la sophistication d’effets spéciaux qui rendent crédibles la destruction de la Maison-Blanche et d’autres monuments mondialement connus, et par conséquent la représentation d’un cataclysme à l’échelle planétaire. Le triomphe commercial d’Independence Day, couplé avec l’échec du parodique Mars Attacks ! qui sort à la même période et semblait en constituer la réponse cinglante, ouvre la voie à une nouvelle fournée d’œuvres où la menace de la fin du monde, toujours venue de l’extérieur, est systématiquement conjurée par l’alliance entre d’héroïques patriotes anonymes et des leaders politiques courageux et éclairés (Armageddon, 1997 ; Deep Impact, 1997 ; Fusion, 2001). Le millénarisme, cette peur irrationnelle censée s’emparer des populations à chaque remise à zéro du calendrier, semble épargner les États-Unis. Jusqu’en 2001, première année du troisième millénaire…
Le 11-Septembre : la fin de la fin de l’Histoire
En 2001, l’Amérique vacille, perd ses certitudes. Plus qu’une catastrophe humaine, la chute des Twin Towers est une castration symbolique : le géant stupéfait découvre sa vulnérabilité, et le reste du monde avec lui. L’événement prouve que les images de destruction numérique qu’affectionne désormais le cinéma hollywoodien ne peuvent rivaliser avec la réalité diffusée en direct sur les télévisions du monde entier. Après quelques mois de stupeur et d’autocensure, pendant lesquelles on s’interdit d’évoquer, de près ou de loin, les attentats, le spectacle reprend ses droits. Les films catastrophes et pré-apocalyptiques se chargent alors de recycler inlassablement l’image de tours qui s’effondrent et de corps qui tombent (Cloverfield, 2012), d’avions qui s’écrasent (Prédictions, La Guerre des mondes), de nuages de cendres (2012, La Route). Ces motifs récurrents font penser à la manière dont les images de l’attentat de John Fitzgerald Kennedy avaient longtemps hanté les fictions américaines des années 1970. À une différence près : contrairement à leurs prédécesseurs, les cinéastes actuels ne questionnent pas le trauma ; ils se contentent de le remettre en scène, inlassablement – comme pour l’exorciser. Ils ne questionnent jamais les images, ne vont pas chercher ce qu’elles dissimulent, mais gardent envers elles une attitude respectueuse, et se confrontent rarement à leur hors champ.
Ainsi, de la même façon que la télévision américaine s’interdisait de montrer les corps sortis de sous les décombres du World Trade Center, le cinéma pré-apocalyptique (à l’exception bien entendu des films d’horreur) est-il étonnamment aseptisé dans sa représentation de la mort et de la souffrance. Dans 2012, on ne verra aucun cadavre : les milliards de morts disparaissent simplement de l’écran ; ils restent hors champ ou sont brusquement happés en dehors du cadre, comme le beau-père indésirable. Dans La Guerre des mondes, les humains frappés par le rayon des tripodes disparaissent en fumée, sans laisser de traces. Les producteurs parviennent du même coup à éviter la classification « R » de la MPAA, l’association qui décide de la classification des films aux États-Unis. On arrive ainsi à des situations paradoxales : des œuvres qui racontent la mort violente et spectaculaire de milliards d’individus sont considérées comme des spectacles familiaux !
La menace fantôme
On pourrait penser que le cinéma pré-apocalyptique reprendrait le flambeau du cinéma d’anticipation, genre malheureusement passé de mode qui s’essayait à concrétiser ou à amplifier les angoisses du présent en les projetant dans un futur hypothétique. Certaines œuvres, héritières du courant progressiste des années 1950 – 1970, entendent effectivement sensibiliser leur public aux fléaux qui le menacent. Dans Wall‑E, les Terriens, après avoir transformé leur planète en immense décharge à ciel ouvert, se sont réfugiés dans un vaisseau spatial où ils persistent à dégénérer : obèses, déconnectés du monde réel, manipulés par les machines qu’ils ont créées, ils ne devront leur salut qu’à un robot qui a su développer les qualités « humaines » (l’amour, le courage, le goût du travail…) qu’ils ont eux-mêmes oubliées. Dans Les Fils de l’Homme, derrière une explication-prétexte (les femmes du monde entier sont du jour au lendemain frappées de stérilité) et des références bibliques qui, fort heureusement, enrichissent le film sans écraser ses autres niveaux de lecture, Alfonso Cuarón décrit une Angleterre miraculeusement épargnée par une guerre nucléaire, qui a fermé ses frontières et parqué les immigrés dans des ghettos-prisons, qui surveille les mosquées, qui doit faire face à la raréfaction du pétrole et à la menace du terrorisme et des guérillas urbaines, etc.
Mais force est de constater que les œuvres qui cherchent à tendre à la société le miroir de ses excès et de ses dérives restent très rares. Ce qui frappe dans la majorité des films pré-apocalyptiques, c’est le flou qui entoure la cause de la catastrophe. Cette cause importe peu, et n’est que très rarement reliée à des évolutions (géo)politiques ou à des choix économiques. L’Amérique n’a pas trouvé d’explication au traumatisme du 11-Septembre. Elle ne comprend pas pourquoi elle est partout critiquée, voire haïe. Incapable de se remettre en question, elle se réfugie dans l’irrationnel. Ainsi, quand un soupçon d’explication est donné sur l’origine du cataclysme, il est souvent teinté de millénarisme religieux, et témoigne de la peur du Jugement dernier héritée du Christianisme. Dans Prédictions, une éruption solaire tient lieu de nouveau Déluge et vient purifier par le feu une Terre entachée par les péchés des hommes – seuls en réchapperont deux enfants innocents, nouveaux Adam et Ève emmenés sur une planète édénique par de mystérieux extraterrestres… De même, 2012 dissimule mal, derrière son histoire abracadabrante de neutrinos meurtriers, des références bibliques très appuyées (les super-Arches de Noé). Les élucubrations pseudo-scientifiques dont se parent certains de ces films qui n’assument pas leur caractère invraisemblable sont tellement tirées par les cheveux qu’elles les font parfois sombrer dans le ridicule. Le sommet est atteint par Phénomènes, qui raconte très sérieusement comment des plantes se mettent du jour au lendemain à sécréter une neurotoxine qui pousse les êtres humains à se suicider en masse !
Le même flou domine dans les films de morts-vivants : les effroyables épidémies qui transforment du jour au lendemain votre paisible voisin en terrifiant zombie affamé sont « la faute à pas de chance », elles n’ont pas de causes véritablement humaines (ou alors, celles-ci sont à peine évoquées : expériences sur des animaux de laboratoire dans 28 jours plus tard ou… hamburger avarié dans Bienvenue à Zombieland). De plus en plus nombreux sont les films, tous genres confondus, qui ne s’embarrassent d’aucune explication. Dans La Route, on ne sait pas quel fléau a frappé l’Humanité : à l’occasion d’un court flash-back, on entrevoit seulement un éclair aveuglant à travers une fenêtre. La fin du monde arrive, il ne sert à rien de se lamenter ou d’accuser l’être humain, telle est la morale de ces films, qui aussitôt ajoutent : cherchons plutôt le moyen d’y survivre.
Un nihilisme généralisé
Jusque dans les années 1990, la catastrophe était toujours évitée de justesse. Désormais, elle se produit, et les quelques Cassandre qui la prédisent ne sont pas entendues – ou trop tard. Ainsi, la fin du monde n’apparaît pas comme un horizon évitable, ni même comme un phénomène explicable, mais plutôt comme une punition implacable infligée à une Humanité qui n’est pas spécialement montrée comme méritant de survivre… Car les films pré-apocalyptiques font preuve d’une vision remarquablement sombre et pessimiste de la nature humaine. Ce que nous disent en substance ces œuvres, c’est que lorsque la civilisation s’effondre, les pires instincts ressurgissent. Pour survivre, il faudra être impitoyable, et ne pas s’embarrasser de morale. Un accès de faiblesse pourra causer votre perte, le sentimentalisme étant devenu un luxe inabordable : dans 28 semaines plus tard, c’est en cherchant à retrouver sa femme disparue que Robert Carlyle relancera l’épidémie mortelle. Si l’on tient malgré tout à protéger les siens, il faudra être prêt à tout : un honnête père de famille assassinera un homme dans une cave pour protéger sa petite fille (La Guerre des mondes), tandis qu’un autre sera prêt à tirer dans la tête de son fils pour lui épargner de tomber aux mains d’esclavagistes cannibales (La Route). Et inutile de compter sur l’État pour vous sauver. Lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement absents, les responsables politiques sont particulièrement inefficaces pour conjurer la catastrophe ou pour en limiter l’impact – de la même façon qu’ils n’ont pas su prévoir et prévenir le 11-Septembre. Pire : ils n’hésitent pas à trahir l’espèce. Ainsi, dans 2012, les riches et les puissants trouveront une place dans les gigantesques Arches qu’ils auront financées en secret et échapperont ainsi à l’apocalypse – quant aux milliards de pauvres, ils périront tous, à l’exception notable de John Cusack et de sa famille recomposée… Derrière la figure christique du Président que développe complaisamment le film, se cache à peine une obsession bien contemporaine pour la théorie du complot.
Les films d’horreur sont particulièrement révélateurs de cette évolution nihiliste. Initiée en 1968, la « Saga des morts-vivants » de George Romero cultivait, sous couvert de série B d’horreur, un discours politique virulent : anticonsumériste, anticapitaliste, antimilitariste. Au fil des films, le mort-vivant devenait de plus en plus humain, et finissait dans Land of the Dead – Le Territoire des morts par représenter le prolétariat, les laissés-pour-compte, les populations spoliées du Tiers Monde. Dans L’Armée des morts, remake du magnifique Zombie de Romero, Zack Snyder retire toute cette dimension métaphorique à travers une mise en scène héritée du jeu vidéo : le zombie n’est plus qu’une cible que les survivants « snipent » comme à la fête foraine – avant d’aller eux-mêmes rejoindre la horde. Même s’il continue de véhiculer la psychose très actuelle des pandémies mortelles, le film de morts-vivants cesse d’être pertinent ou même effrayant : il sombre dans le second degré, voire l’autoparodie (Shaun of the Dead, Planète terreur, Bienvenue à Zombieland), et cultive un goût du ricanement assez antipathique. Dansons gaiement sur les ruines de l’Humanité, semblent-ils nous dire, avec force clins d’yeux cherchant à forcer la connivence avec le spectateur.
Le pessimisme exacerbé n’est pas l’apanage des séries B et des blockbusters. On le retrouve partout ailleurs, comme dans Blindness, un film de Fernando Meirelles qui a tous les attributs du film d’auteur : adaptation d’un roman prestigieux (L’Aveuglement, du Portugais José Saramago), mise en scène très élaborée, acteurs talentueux au parcours exigeant (Julianne Moore, Gael Garcia Bernal, Mark Ruffalo) et sélection en ouverture du festival de Cannes en 2008. Il s’agit de l’une des œuvres les plus sombres – sans mauvais jeu de mots – que le cinéma américain ait jamais produites : imaginant une Humanité qui perd la vue à la suite d’une mystérieuse épidémie, le film et le livre montrent, de manière presque clinique, comment les contaminés vont se transformer, à quelques exceptions près, en monstres barbares ou en victimes sacrificielles. L’être humain réduit à errer dans le noir, à croupir dans ses propres déjections, à se prostituer ou à s’entretuer pour un quignon de pain, c‘est ce qu’exhibe Blindness, avec une frontalité dérangeante. Au point que la critique française, déroutée par cette vision qu’elle jugea pénible et outrancière, dédaigna le film. Celui-ci n’est pourtant pas sans qualités, si l’on excepte un happy end qui sonne faux (mais qui était déjà présent dans le roman d’origine)…
This is the end
Car à de très rares exceptions près, le film pré-apocalyptique finit… bien, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Dans 2012, les quelques dizaines de milliers de survivants se consolent de la fin du monde en roucoulant sur fond de soleil couchant. Dans La Guerre des mondes, Tom Cruise retrouve sa famille, miraculeusement indemne dans un quartier de Boston qui n’a pratiquement pas souffert de l’invasion. Je suis une légende n’hésite pas à trahir la lettre et l’esprit du scénario de Richard Matheson pour rassurer son public via une fin benête. Même des œuvres aussi cruelles et désespérées que La Route rajoutent in fine une touche de rose par-dessus leurs ténèbres. Seuls les films d’horreur osent aller jusqu’au bout de leur nihilisme et évitent le retour aux valeurs familialistes (et encore, pas toujours : cf. Bienvenue à Zombieland). Le film pré-apocalyptique ressemble ainsi à ces attractions foraines, type montagnes russes, qui vous procurent des sensations fortes pour mieux vous ramener, sain et sauf, sur les rails d’une fin heureuse. Seulement, plus les années et les films passent, plus ce happy end obligatoire paraît forcé, tant il ne colle pas avec la noirceur qui imprègne le reste de l’œuvre. Même un cinéaste comme Steven Spielberg, dont l’optimisme a longtemps paru inébranlable, résout sa Guerre des mondes par un deus ex machina certes fidèle au roman d’origine, mais bien peu convaincant. Dans la plupart des cas, la menace disparaît aussi arbitrairement qu’elle s’est manifestée. Le salut de l’Humanité échappe autant à son contrôle que la punition qui lui est infligée.
Ainsi, au-delà des impératifs du spectacle, un certain scepticisme s’exprime à travers cette vague de films catastrophistes vis-à-vis de la société dans laquelle nous vivons : sa solidité, sa pérennité, et même sa raison d’être sont ouvertement remises en question. 2012, Watchmen – Les Gardiens, voire The Dark Knight – Le Chevalier noir qui lui aussi montre l’anarchie à nos portes, attirent en masse le public : y trouve-t-il une catharsis, un exécutoire à ses angoisses ? Ou est-il plutôt travaillé par une pulsion régressive – le fantasme de remettre tous les compteurs à zéro pour pouvoir repartir vers de nouvelles bases, plus saines ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. Peut-être qu’en se penchant sur le cinéma pré-apocalyptique des années 2000, l’historien du futur y verra-t-il non seulement le signe d’un malaise dans la civilisation, mais aussi les prémisses des bouleversements qui restent à venir – de la même manière que les historiens actuels considèrent que l’expressionnisme allemand annonçait le nazisme… En attendant, il est alarmant de voir que les artistes, ceux qui ont pour partie mission d’imaginer le possible et de nous montrer le chemin, sont aujourd’hui autant fascinés par la mort et le néant.