Drôle de palmarès que celui des César 2007, tout à fait dans la lignée de ce que Pascale Ferran a dénoncé durant la cérémonie : des films pauvres et des films riches. Plus précisément, un film pauvre, Lady Chatterley, et des films riches, Ne le dis à personne, OSS 117, Prête-moi ta main, Fauteuils d’orchestre…
En février 2005, le palmarès de la 30ème cérémonie des César avait déconcerté la profession. Après avoir assisté pendant de trop nombreuses années à la consécration de films déjà plébiscités par le grand public (Le Goût des autres, Amélie Poulain ou encore Les Invasions barbares) et pour lesquels on pouvait vraiment douter de réelles qualités cinématographiques, on s’attendait naturellement à assister au sacre des Choristes ou d’Un long dimanche de fiançailles. Or, ce fut un petit film qui n’avait pas reçu d’aides de la part du CNC et dont le budget final n’avait pas excédé les 400 000€ qui avait reçu ce soir-là toutes les principales récompenses. L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, fort de ses quatre César, doublait ainsi son nombre d’entrées – passant de 150 000 à 300 000 – et l’Académie rappelait du coup que son rôle n’était pas forcément de suivre le consensus mais de faire découvrir des talents ignorés des multiplexes. Cette même soirée, d’autres films exigeants, tels que Rois et reine et Quand la mer monte, recevaient les autres principales récompenses.
L’année 2006 était attendue, tant par les professionnels que le grand public, qui avait souvent qualifié d’élitiste le palmarès de l’année précédente. Du coup, plutôt que de récompenser Le Petit Lieutenant de Xavier Beauvois ou même d’offrir davantage de nominations à l’ambitieux film de Philippe Garrel, Les Amants réguliers, l’Académie a tenté de trouver un juste milieu en consacrant unanimement De battre mon cœur s’est arrêté, laissant tout au plus quelques miettes aux autres films. Seule surprise de la soirée, le favori Romain Duris avait été écarté au profit de Michel Bouquet pour sa composition dans Le Promeneur du Champ-de-Mars.
En 2007, les nominations avaient beaucoup déçu, il était difficile de ne pas s’agacer devant l’absence notable de certains films comme Flandres, Bamako ou Dans Paris, formellement bien plus intéressants que les petites comédies que l’on nous sert matin, midi et soir. Le palmarès déçoit moins mais reste à double tranchant : d’une part, Lady Chatterley, fort de ses 200 000 entrées courageuses, probablement le meilleur film français de l’année, a été consacré, en recevant notamment le César du meilleur film, celui de la meilleure actrice pour Marina Hands, et celui de la meilleure adaptation. L’Académie, au risque de paraître totalement à côté de la plaque cinématographique, ne pouvait que récompenser un film audacieux, original et ambitieux. Mais, d’autre part, dans les autres catégories, on remarque que pullulent les « petits films », plus ou moins bien accueillis par la critique, en somme, ces films qui ont fait plus d’un million d’entrées. Donner à Indigènes le prix du scénario est une façon de récompenser symboliquement un film important sur le plan historique et qui ne pouvait que plaire aux amateurs de politiquement correct, si ce n’est aux amateurs de cinéma. Mais récompenser Je vous trouve très beau, la version slave d’Une hirondelle a fait le printemps, en meilleur premier film, est nier qu’il existe quelques ovnis comme Pardonnez-moi de Maïwenn, ou quelques premiers essais réussis comme Avril, qui n’avait pas eu le plaisir d’être reconnu.
Le palmarès est sans doute à l’image de la réception du cinéma français : on y trouve les films soutenus par la critique mais aussi par le public qui s’est déplacé, et les films qui ont bénéficié de campagnes de publicité ahurissantes, d’un casting de stars, et donc également d’un nombre d’entrées étonnant. On trouve dans cette catégorie notamment Prête-moi ta main, film qui, malgré le talent d’Alain Chabat, Charlotte Gainsbourg et Bernadette Lafont, n’aurait pas mérité une seule nomination. Sans nul doute, le jury voit les mêmes films que le public. Deux exemples sont particulièrement révélateurs du glissement de ce jury de la qualité cinématographique vers l’apologie d’un cinéma moins difficile à diffuser, bien que plus intéressant : Guillaume Canet, avec son Ne le dis à personne – thriller français sans personnalité gonflé par son budget conséquent et son casting de rêve –, est sacré meilleur réalisateur alors qu’Alain Resnais, ses Cœurs immobiles et Pascale Ferran sont dans la salle. En outre, on assiste à une petite mort du documentaire français : dans les nominations, une maigre place était accordée au documentaire avec la citation de Zidane. Mais le jury préfère une fois de plus ce qui fait parler, ce qui est à l’image de la réflexion politique actuelle : la victoire du pamphlet sur le reste. En récompensant Dans la peau de Jacques Chirac de Karl Zéro, le jury s’aligne sur celui de Cannes qui avait célébré Fahrenheit 9/11. Symbolique, politique, peut-être, mais pas documentaire.
À l’heure où le diktat de la télévision impose de plus en plus ses normes qui vont à l’encontre de toute créativité, l’existence de Lady Chatterley dans une telle cérémonie prouve que le cinéma se doit de jouer encore et toujours la carte de la résistance mais qu’il est aujourd’hui primordial de remettre en cause le système des financements publics (le CNC) et privés (la télévision) qui privilégie une attitude profondément schizophrène.