Après un été assez médiocre du point de vue des sorties avec son lot de surprises plus ou moins grandes comme Mon nom est Tsotsi, et son lot d’échecs plus ou moins attendus comme Superman Returns, le mois de septembre annonce une rentrée riche en promesses et en attentes en tous genres. La fin du mois d’août rognait déjà sur le retour de quelques indomptables à l’écran avec la sortie du Vent se lève de Ken Loach, Palme d’or du dernier festival de Cannes et des très attendus Michael Mann pour Miami Vice ou Michel Gondry pour La Science des rêves.
Bien que Venise rencontre des difficultés financières grandissantes (notamment autour de l’édification du nouveau palais estimée à 100 millions d’euros), la sélection de la prochaine édition de la Mostra (du 30 août au 9 septembre) tente de prouver qu’il faut désormais compter plus que jamais sur ce festival trop longtemps resté dans l’ombre de Cannes,lui-même objet depuis quelques années de critiques de plus en plus vives. À Venise, l’accent est mis sur la diversité des genres et des nationalités : de l’Autriche – avec notamment Fallen de Barbara Albert, scénariste, productrice et réalisatrice depuis 2002 – au Portugal – avec l’attendu Belle toujours du prolifique Manuel de Oliveira –, c’est vraisemblablement le cinéma asiatique qui devrait marquer la cuvée 2006 là où Cannes avait décidé de passablement l’ignorer : pas moins de douze films venant du Japon, de Taïwan, de Hongkong, de Thaïlande ou de Chine seront ainsi montrés. Mais loin de s’inscrire dans un courant de manière conventionnelle, le festival italien s’engage dans la découverte de nouveaux réalisateurs peu connus en Europe, tout en confirmant la grande importance d’autres : pour ceux-ci, on retrouvera donc Apichatpong Weerasethakul – primé à Cannes en 2004 pour Tropical Malady – avec Sang Sattawat, et Kiyoshi Kurosawa (aucun lien de parenté) avec Sakebi. Mais ils côtoieront le Coréen Ryoo Seung-wan avec Jakpae, ou encore le Chinois Feng Xiaogang avec Ye Yan.
Toujours à l’affût des meilleurs plans marketing, les studios américains comptent de plus en plus sur le rayonnement international de Venise pour promouvoir leurs poulains. Si Cannes peut se payer le luxe des avant-premières spectaculaires et attendues, défiant les logiques artistiques requises pour un festival de cette envergure (voir la débâcle Da Vinci Code cette année), Venise peut se targuer d’avoir la programmation américaine la plus juteuse… grâce à un heureux hasard de calendrier. De septembre à décembre, les studios américains lancent sur les écrans leurs œuvres les plus prestigieuses pour une course aux oscars plus impitoyable que jamais. Dans un contexte aussi compétitif, rien ne vaut la publicité gratuite qu’offre une sélection (et éventuellement un prix) dans un festival de renom.
Du Dahlia noir de Brian De Palma à l’énigmatique Inland Empire de David Lynch en passant par The Queen de Stephen Frears, Zwartboek de Paul Verhoeven ou encore The Magic Flute de Kenneth Branagh, la Mostra s’est fait le nouveau chantre des films exploités avec succès sur le territoire américain. Ce que les deux dernières éditions n’ont cessé de confirmer, au détriment sans doute d’un cinéma américain indépendant extrêmement divers, parfois commercial et de bonne qualité, comme celui de Spike Lee, mais peut-être moins enclin aux tournées mondiales. Mar Adentro en 2004 et Le Secret de Brokeback Mountain en 2005 y ont successivement remporté le Lion d’or quelques mois avant d’être consacrés aux Oscars. Une sélection américaine qui ne fonctionne hélas qu’au « buzz » et au prestige des cinéastes et des projets, à défaut de défendre un cinéma américain plus en marge, plus audacieux, comme Cannes a su le faire avec Richard Kelly, John Cameron Mitchell ou Sofia Coppola avec Marie-Antoinette cette année. Et si l’on salive d’avance sur le prochain Lynch, force est de reconnaître que les films de De Palma, Verhoeven ou Frears devront d’abord convaincre la presse internationale, échaudée par leurs précédents films. Faut-il y voir un signe des temps ? Quand Cannes programmait le radical Vol 93 de Paul Greengrass, premier film à traiter des attentats du 11-Septembre, Venise fanfaronne avec la catastrophe annoncée d’Oliver Stone, World Trade Center, déjà un énorme succès auprès de la droite américaine et qui devrait, tout au mieux, laisser le public perplexe.
Outre le cinéma italien, qui trouve souvent l’unique occasion de se redonner du crédit sur la scène internationale (on y projettera notamment Golden Door d’Emanuele Criasele), la France voit quelques-unes de ses œuvres les plus ambitieuses présentées à la Mostra. Un an après le succès des Amants réguliers de Philippe Garrel (qui n’a même pas joué les trouble-fêtes aux César), ce sont Petites peurs partagées d’Alain Resnais, L’Intouchable de Benoît Jacquot mais aussi Quei Loro Incontri de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet qui devraient combler les attentes des festivaliers. De quoi oublier la pitoyable sélection de Nicole Garcia en compétition à Cannes cette année qui, avec son très médiocre Selon Charlie, posait la question des exigences de la sélection.
Nicole Garcia, puisqu’il en est question, préside par ailleurs la prochaine édition du festival de Deauville, du 1er au 10 septembre 2006. Difficile pour le festival normand de trouver une place alors que Venise bat son plein. Les organisateurs ont manifestement opté pour une prise de risque relativement restreinte, comme l’inégalité des précédentes éditions pouvait le laisser entrevoir, ainsi que les séances de photos sur les Planches de plus en plus importantes. On se souvient ainsi de la projection des Parisiens de Claude Lelouch en ouverture du festival 2004. Mais contrairement à Cannes et surtout Venise qui tentent tous deux de dégager les nouvelles tendances à venir, Deauville marque surtout l’opportunité de lancer la carrière commerciale de films américains dits indépendants dont le succès ne serait pas forcément assuré sur le marché français, comme pour Maria, pleine de grâce de Joshua Marston en 2004, ou Keane de Lodge Kerrigan en 2005. Inutile d’espérer que Clint Eastwood ou Martin Scorsese viennent y présenter leurs prochains films tant attendus. Du coup, à Deauville, la promotion prend le pas sur l’éventuelle recherche de nouveaux talents, d’où cette impression de foire et m’as-tu-vu dont se distinguent bien volontiers les festivals d’Édimbourg et de Paris Cinéma, qui gagnent peu à peu leurs lettres de noblesse en s’attachant autant que possible à découvrir les nouveaux talents européens et mondiaux.