Vous souvenez-vous du temps où le terme de remake n’était pas encore entré dans le vocabulaire courant, galvaudé, parvenu à désigner, plus qu’une pratique, un véritable genre ? C’était il n’y a pas si longtemps. On pouvait parfois même trouver sur une affiche une accroche « inspirée du film…» Qui trouverait cela aujourd’hui, alors qu’un remake resuce son original à peine un an après, alors qu’une figure légendaire du cinéma-de-papa revient sur les écrans pour entreprendre la conquête du jeune public ? N’y a‑t-il dans le remake made in USA (car seuls les États-Unis ont fait de leur industrie du remake une exportation) qu’un simple effet de répétition benêt ? N’y a‑t-il rien à comprendre, à étudier, à sauver ? Certainement, si. Parce que les États-Unis font état, avec ces productions, de leur rapport au monde tout autant qu’à leur propre culture, il convient de bien différencier : tout d’abord, les « films de monstres », un genre en soi, et intimement lié au corpus des États-Unis, ensuite, les films recopiés sur le reste de la production mondiale.
Being Monstruous
L’ère des monstres
« L’avoir vu vous vaudra une médaille de courage !» proclamait l’affiche de Frankenstein, de James Whale, lors de sa sortie en 1931. Si le réalisateur n’est pas le premier à se pencher sur le cas du monstre imaginé par Mary Shelley, il est sans doute, avec Rupert Julian et son Fantôme de l’Opéra en 1925, celui qui créa le genre du film de monstres. L’Homme invisible, La Momie, Le Loup-Garou et Dracula complètent le haut de l’affiche de l’âge d’or des monstres, un âge qui disparaît avec la Seconde Guerre mondiale, même si certaines figures telles que La Chose d’un autre monde, La Mouche noire ou Le Blob ont rejoint, par la suite, la liste des invités.
Quels monstres furent plus sacrés que ceux qui furent littéralement monstrueux ? En marge de l’âge d’or d’Hollywood, le cinéma de monstre perdit de sa superbe, pour tomber aux oubliettes avec l’arrivée des horreurs atomiques. Si la Hammer s’intéresse à ces figures dans les années 1960 – 70, c’est avant tout une démarche en adéquation avec l’esprit du temps, l’appropriation d’un vecteur narratif pour ses problématiques commerciales, sociales et sexuelles. Mais l’ère du monstre-idole sur grand écran a passé.
Mais pas l’ère des monstres.
Dans les années 1980, le cinéma d’exploitation change de visage avec l’avènement de la vidéo grand public. Le cinéma n’est plus pensé de la même manière : il lui faut une carrière au-delà du grand écran, voire une simple carrière en vidéo. Voilà pour les bonnes fées qui se sont penchées sur la série B des années 1980, tumultueux berceau des nouveaux monstres – et la période a été plus que fertile dans ce domaine : Jason Voorhees, Freddy Krueger, Leatherface (qui prend véritablement son statut de vedette avec le délirant Massacre à la tronçonneuse II, Michael Myers, le Predator, les Gremlins sont les vedettes d’un cinéma qui n’a cessé d’enfanter une effroyable cour des miracles monstrueuse…
Monster Ego
Face à leurs remakes, les monstres n’ont pas le même statut. Ceux de l’Universal, passés dans l’imaginaire contemporain, font manifestement l’objet d’une sacralisation. Leur résurrection au cinéma s’inscrit dans une relation fusionnelle avec le cinéaste. Francis Ford Coppola donne ainsi la mesure de cette symbiose avec son clinquant film de vampire : le réalisateur du Parrain bénéficie d’une aura prestigieuse qu’il ne peut, semble-t-il, que partager avec son personnage. Son Bram Stoker’s Dracula eût tout aussi volontiers pu se titrer F.F. Coppola’s Dracula, tant la renommée du personnage se mesure à celle du réalisateur. Il s’agit, pour l’artiste, de s’affronter à une figure mythique – la réception critique du film tiendra d’ailleurs rigueur au réalisateur de n’avoir pas su faire preuve d’humilité, et d’avoir orné d’un joyau certes brillant, mais affreusement boursouflé, la prestigieuse couronne du voïvode vampire. L’homme invisible, dans des Aventures quelque peu tartes orchestrées par un John Carpenter en baisse de forme, ne fait guère mieux, tandis que Kenneth Branagh, avec son Mary Shelley’s Frankenstein tombe, deux ans après Coppola, dans la même ornière du cinéaste égotiste – d’autant plus que sa tête d’affiche, Robert De Niro, ne saura guère se mettre en retrait derrière son personnage. La légitimité à laquelle prétendent Branagh et Coppola, celle de pouvoir se réclamer de la sanction de l’auteur, leur échappe ainsi – tout autant que leur échappe la possibilité de donner un sang nouveau aux monstres de l’Universal. Avec le recul, à l’issue de ces années 1990, le processus de remake relève d’une forme d’arrogance, amenée autant par l’avancée des techniques cinématographiques que par l’idée, erronée, qu’une réactualisation serait utile aux mythes du silver screen. La créature de Frankenstein, le comte Dracula et Griffin, l’homme invisible, restent donc prisonniers de leur écrin-écran noir et blanc…
À la fin de cette décennie plutôt fertile en remakes sans réelle légitimité, le musclé Stephen Sommers dynamite avec bonne humeur l’ambiance feutrée de La Momie dans laquelle Boris Karloff composait une créature immortelle et vengeresse, plus portée sur la romance par-delà les âges et sur un magnétisme certain (qui a dit « capitaliser le succès de Dracula » ?) que sur le fait de terroriser les vivants. Via les Computer Generated Images, qui autorisent désormais tout (et n’importe quoi, oui), on pouvait assister à la naissance d’un nouveau type de remake où le canevas originel – la romance immortelle constitue encore la base du film de Sommers – sert une nouvelle idée du film de genre. Pour pop-corn que soit le film, il se montre stylistiquement et sociologiquement plus intéressant, plus dynamique, que les œuvres de Branagh et de Coppola, en ce qu’il révèle de la reconquête du cinéma de genre par le public. Le cinéma de genre recommence à dialoguer avec son auditoire – un dialogue à visée purement commerciale, mais qui, dans les années 1980, n’a pas manqué de donner, pourtant, une tout autre portée aux films dont il a accouché.
Pop monsters
Le monstre des années 1980 n’est pas celui des années 1930 – il se décline, se multiplie (à la fois dans son nombre d’avatars cinématographiques et au sein de sa propre mythologie). Il apparaît aussi sous forme de masque porté par l’individu, parfois à proprement parler, dans le cas du Jason Voorhees assassin des Vendredi 13, du Leatherface de Massacre à la tronçonneuse ou du Michael Myers des Halloween, parfois symboliquement, comme les zombies de George Romero, Freddy Krueger ou les rednecks dégénérés de La colline a des yeux. Portés par l’affection d’un public acquis à leurs outrances – le fait que cette décennie soit celle de la grandeur de nos confrères de Mad Movies, sous la direction de J.-P. Putters, prouve bien la passion et le dynamisme de ce public – les réalisateurs du genre se spécialisent, et se laissent aller aux plus grands délires. Hargneux et brutaux, contestataires et sans concession dans les années 1970, Wes Craven, Tobe Hooper ou John Carpenter saisissent dans leurs œuvres l’air du temps et lui donnent corps via leurs antihéros. Si c’est fait dans une forme plus délirante, plus grotesque et plus fantastique que dans la décennie précédente, cela tient avant tout à un rapport différent au réel. Le monstre, c’est le fantastique, et le fantastique, c’est la subversion par essence. Il n’y a pas loin à marcher pour passer des prétentions des surréalistes à créer une autre réalité à la réappropriation par les cinéastes fantastiques de leur monde, via l’imaginaire et l’outrance de la peur.
Les discours sociaux musclés et paranoïaques de Wes Craven (La colline a des yeux, La Dernière Maison sur la gauche), John Carpenter (Meurtre au 43ème étage, Assaut), Tobe Hooper (le Massacre) ou George Romero cèdent la place à un cinéma qui tente de repousser les limites de la représentation, et donc de la morale qui, à travers les comités de censure et la prudence naturelle des producteurs, se pose en adversaire éternel du cinéma de l’imaginaire. Les tabous du corps sont ainsi profanés via ce qui tient avant tout d’une tactique de guérilla – les plus grandes outrances étant généralement saluées comme de véritable accomplissements par la presse spécialisée de l’époque (Mad Movies, L’Écran fantastique, mais aussi les éphémères fanzines gonflés que furent Toxic ou Vendredi 13). Freddy Krueger fait donc subir à ses victimes adolescentes les pires horreurs – et en profite pour briser les icônes de la sécurité pensée de l’American way of life ; Jason Voorhees et Michael Myers font office, dans les interminables saga Vendredi 13 et Halloween, de pères fouettards expéditifs et sadiques ; Massacre à la tronçonneuse II clame haut et fort la monstruosité tapie dans l’Amérique provinciale et le Blob dilue avec une joie perverse jusqu’à des petits enfants dans ses méandres caoutchouteux. Plus personne n’est à l’abri.
Vingt ans plus tard, ces outrances barbares et rigolardes sont passées de l’autre côté du kitsch, et leur mission est achevée. Les tabous de la représentation ont été repoussés, et le quotidien médiatique du public du fantastique – généralement estampillé adolescent – dépasse en horreur tout ce que les années 1980 avaient voulu montrer. Plus qu’une dégénérescence – ce serait le point de vue des tenants de la morale brutalisée des années 1980, certainement –, cela témoigne d’une adéquation de ces films avec la société en évolution d’alors. Un cinéma qui n’a pas créé la demande pour ses monstres, mais qui a vu que le temps était venu de leur avènement.
Reste la légende, l’inscription de ces figures monstrueuses dans les références populaires. Comme pour les remakes de films venus de l’étranger, tout tient au timing pour le retour de ces monstres. Une génération entière a passé et le retour de ces figures légendaires à l’écran tient autant à une volonté de les faire sortir du kitsch tâtonnant de leur époque qu’à une perversité commerciale visant à récupérer les mythes pour les prémâcher à la nouvelle génération. Les nouveaux réalisateurs – car curieusement, on n’admettra jamais qu’un cinéaste encore vivant, encore filmant, ne reprenne sa création (à l’exception, peut-être, du très sous-estimé Freddy sort de la nuit, superbe et intelligent chant du cygne orchestré par Wes Craven) – vont-ils être de simples exécutants, d’arrogants continuateurs des erreurs de Coppola et de Branagh, ou bien vont-ils se révéler prometteurs, subtils, et capables d’ajouter un sang neuf à leur matériau ?
On a les cinéastes qu’on mérite, et on a les cinéastes dont on a besoin. Le plus souvent, les uns s’opposent aux autres. Dans le premier cas, l’époque du média ultrarapide, de l’omniprésence de la monoforme théorisée par Peter Watkins a accouché d’une génération de faiseurs, dignes héritiers de l’avènement de la vidéo, prompts à donner dans le cinéma le plus commercial possible, et chez qui l’aspect commercial prime sur tout.
Le remake des années 1980 étant devenu un genre en soi – le tâcheron hyperbolique Michael Bay s’est même fait une spécialité de produire nombre de ces films – il a aussi écopé de ses codes. L’hégémonie du producteur Bay n’est pas un fait innocent – la pratique d’avoir des réalisateurs prête-nom pour un producteur n’est pas neuve dans le fantastique : de Tsui Hark à Roger Corman en passant par le couple Golan-Globus, l’histoire du genre est marquée par l’interventionnisme des producteurs. Il y a fort à parier que Bay soit bien présent derrière la caméra de ses productions : Massacre à la tronçonneuse (2003) et son prequel, Amityville (2005), Vendredi 13 ou Freddy : les griffes de la nuit. Freddy, Amityville et Vendredi 13 respirent ainsi la négligence, et le retour d’un sombre ordre moral dans leur traitement des monstres et des terreurs les plus subversifs de la génération précédente. Versions édulcorées de toute forme d’audace visuelle et narrative, ces remakes se contentent d’ânonner un cahier des charges précis, hérités de la légende de leurs monstres, sans jamais s’interroger sur ce que leur narration peut entretenir comme rapport avec le réel, apporter comme vision du monde. Vidés de leur substance, ces remakes soulignent la perversité d’une approche qui les considère comme de simples réactualisations – ils ont oublié qu’un film est ancré dans son époque.
Si Samuel Bayer, pour Freddy, et Andrew Douglas (Amityville) sont des noms creux, aux filmographies naissantes ou déjà mortes, Marcus Nispel (Vendredi 13 et le remake du Massacre) inspire une autre réflexion. Si sa résurrection du tueur de Crystal Lake partage le manque consternant d’existence des autres films, son Massacre à la tronçonneuse témoigne d’une cinéphilie plus qu’honorable. Faisant partie des « précurseurs » de la vague de remakes des années 1980, peut-être le film a‑t-il laissé à son réalisateur une certaine latitude, avant que se ressente la mainmise de Bay sur sa filmographie. Dommage pour un réalisateur, qui, à défaut d’apporter un sang neuf à son antihéros, faisait montre d’une culture cinématographique agréable et rassurante.
À l’inverse, l’éminemment bankable Zack Snyder a tenté, avec l’Armée des morts de réaliser un remake du Zombie de Romero très ancré dans son temps – à tel point qu’il n’a plus grand-chose à voir avec le film originel, sinon la trame globale. Qu’est-ce qui différencie donc ce film de la Momie ? Snyder est un cas particulier : à voir son remake, on est pris du sentiment qu’il se moque éperdument de l’original. Avec une filmographie marquée par une tendance affirmée à l’emphase lourdingue riche en CGI sans âme (Watchmen pour le moins mauvais, 300 et Ga’Hoole pour le pire), Snyder fait figure de cinéaste jouisseur dans le mauvais sens du terme – à la différence d’un inoffensif Stephen Sommers – et plus proche d’un Luc Besson. Son Armée des morts est donc un signe des temps, la confirmation qu’il est possible de piller un film sans vergogne, pour le régurgiter sous une forme écœurante – une démarche bien éloignée d’un quelconque amour du cinéma.
Alexandre Aja, quant à lui, permet tous les espoirs. Spécialisé dans les remakes, le jeune cinéaste a déjà à son actif Mirrors, remake d’un film coréen, La colline a des yeux et Piranha 3D. Au contraire de Snyder, Aja déborde d’un amour du cinéma de genre, qui transparaît avec bonheur dans ses films. Plus courageux qu’on ne pourrait le croire, Aja a construit, avec sa filmographie, une œuvre qui n’a certes pas retenu la sauvagerie paranoïaque de la Colline de Wes Craven, mais a, en revanche, bien intégré la cinéphilie de sale gosse de Joe Dante (réalisateur du premier Piranha). À chaque nouveau film, Aja fait montre d’une culture qui fait de lui l’héritier des spectateurs gourmands des années 1980 – et les outrances dans lesquelles il emmène son cinéma ont autant de pouvoir transgressif que celles des films de ces années-là. Avec une démarche de cinéphile réjoui et amusé, Aja reste donc un cinéaste mineur – il n’y a pas de réelle puissance de mise en scène chez lui, pas de réelle proposition formelle –, mais qui parvient à se moquer des cadres moraux dans lesquels s’enferment la plupart des remakes, et, ce faisant, à les invalider. Ce qui est probablement le plus bel hommage qu’on puisse rendre aux films qu’il ressuscite réellement.
La culture du remake n’est pas seulement celle d’un ou deux cinéastes prometteurs mais bancals ; c’est également celle d’artistes réels, passionnants et enthousiasmants. Il ne faut pas oublier qu’un cinéaste comme Quentin Tarantino, même s’il n’est pas à proprement parler un cinéaste de remake, fonctionne énormément – exclusivement ? – par citation, et qu’il donne parfois dans le remake déguisé. Ainsi, la seconde partie de son remarquable Boulevard de la mort n’est rien d’autre qu’un remake inavoué, parfaitement ancré dans son époque et très efficace, du superbe road-movie Point limite zéro. Mais, en dehors d’épisodes réellement brillants tels que celui précité, Jackie Brown demeure à ce jour la seule véritable œuvre de Tarantino en tant que cinéaste à part entière. En regard de son œuvre de cinéphile de la citation, plaçons celle de Rob Zombie, le monstre accouché par l’Amérique des années 1980. La comparaison est parfaitement pertinente – d’autant plus que son film le plus redoutable, The Devil’s Rejects, entretient aussi des rapports très étroits avec Point limite zéro – un film dont l’importance manifeste pour le cinéma américain actuel gagnerait peut-être à être reconnue. Sa foutraque Maison des 1000 morts se pose évidemment en tant que remake officieux de Massacre à la tronçonneuse, mais c’est avec l’impressionnant Halloween que Zombie nous intéresse au premier chef. Remake officiel, donc, d’un des films les plus réputés d’un très grand cinéaste, Halloween suscitait par avance toutes les craintes. Avec ce film, Zombie montre le vrai visage d’un nouveau cinéma : pétri des multiples références du cinéma des années 1980, le film est bien plus qu’une simple remise au goût du jour – c’est le sombre rejeton d’une décennie de fantastique vachard et audacieux, digérée, comprise, et assumée par un cinéaste qui garde à cœur de montrer un miroir monstrueux à une Amérique traumatisée qui refuse aujourd’hui de se voir du mauvais côté de l’axe du mal. Avec Halloween, John Carpenter voulait filmer le « mal à l’état pur » – une figure qui a, plus que jamais, aujourd’hui sa place dans un cinéma par essence subversif mais dont le potentiel choquant – et par là même propre à susciter réflexion et remise en question – a quelque peu été émoussé ces dernières années. Avec Halloween (comme en leur temps les remakers brillants John Carpenter (The Thing), David Cronenberg (La Mouche) et Philip Kaufman (L’Invasion des profanateurs), Rob Zombie impose le remake comme forme logique, agissante, intellectuellement et artistiquement justifiée – encore faut-il qu’un artiste doué d’une véritable vision et d’une réelle audace s’y consacre.
Miroirs et fumées
Remaker est sans doute le propre du cinéma. Réactualiser ses mythes, injecter une nouvelle dimension sémantique à un film déjà connu du public, cette démarche est on ne peut plus classique. Mais depuis une dizaine d’années, la machine à produire américaine s’est emballée, lorgnant vers un genre très différent de remakes : les films étrangers.
Mad in Asia
Puits sans fond auquel vont s’abreuver les réalisateurs et producteurs en mal d’inspiration, l’Asie prend des airs de nouvel eldorado scénaristique. Dans les années 1970, l’Amérique n’ignorait pas l’existence cinématographique de ce continent, et découvrait les films de sabre et autres karaté films (sans oublier les films de monstres type Godzilla) dans leurs versions originales. Au mieux, invitait-elle les grands faiseurs sur son sol pour proposer des alternatives destinées au public US. Mais cette époque d’importation pondérée est révolue au profit d’une mode de la contrefaçon effrénée.
La première occurrence majeure de ce phénomène se cristallise autour de Ring d’Hideo Nakata sorti en 1998. Film retravaillant la mythologie asiatique du fantôme et du croque-mitaine, Ring eut immédiatement un succès colossal au Japon ce qui éveilla sans doute la curiosité des États-Unis. Et quatre ans plus tard apparaît sur les écrans The Ring de Gore Verbinski, remake sans panache ni originalité. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le film porté par Naomi Watts fonctionne bien (même au Japon, un comble !) et en 2005 une suite est donnée à ce premier épisode remaké. Et c’est le réalisateur originel, Nakata qui s’y colle. Sobrement intitulé The Ring 2, cette suite se révèle elle-même un remake de la suite nippone (eh oui, Nakata avait lui-même en 1999 donné une suite à son film). Mais la saga Nakata n’est toujours pas terminée. Reniflant l’aubaine d’une carrière internationale, Nakata offre un deuxième remake aux States : Dark Water. Sorti en 2002 au Japon, Dark Water attendra trois ans sa sortie remakée américaine avec Walter Salles aux commandes. Après ces quelques années bien remplies à tirer le maximum du filon Nakata qui aurait pu (dû ?) s’épuiser bien avant, les producteurs américains comprennent le potentiel du remake made in Asia et vont faire déferler sur les écrans du monde entier une vague de remakes sans précédent.
Si vous pensez que Nakata avait sucé la totalité de la substantifique moelle financière de ses deux films, un autre hold-up non moins gonflé a pris la suite, avec l’aval aveugle des américains. Le braqueur : Takashi Shimizu. Son arme : Ju-On (connu aussi sous le nom de code The Grudge). Le réalisateur a en effet sorti Ju-On et une suite directe en vidéo au pays du soleil levant. Devant le succès inattendu rencontré, il remake son propre film et sa suite pour le grand écran avant de s’envoler pour Hollywood où il réitère le même geste (le remake de son film asiatique et sa suite). Niveau originalité, on peut faire mieux mais question rentabilité, rien à redire : trois séries de deux remakes avec une seule idée.
Devant ces deux exemples confondants d’absence de risque et de créativité, on est en droit de se demander pourquoi les américains ne se contentent pas des originaux et préfèrent diligenter eux-mêmes des re-productions. L’argument de l’ethnocentrisme est le plus souvent avancé. Le physique des acteurs, difficiles à différencier pour un occidental, les codes narratifs éloignés des canons américains (rythme, usage de la musique) et les référents culturels méconnus peuvent être à l’origine du désir de remake. Mais la massification du procédé (The Eye, Mirrors, Bangkok Dangerous, Infernal Affairs, One Missed Call pour n’en citer que quelques-uns) tend à démontrer qu’une autre motivation anime les studios.
L’explosion du cinéma asiatique (Hong Kong, Japon et Corée du Sud) grignote des parts de marché importantes au cinéma américain depuis environ une décennie. Même si l’Oncle Sam règne toujours en maître sur la production mondiale, son hégémonie prend l’eau avec l’apparition de grands réalisateurs comme Tsui Hark ou Johnnie To. Cette émergence et la tiédeur des producteurs à prendre des risques, compte tenu des budgets exponentiels et d’une concurrence décuplée, concourent alors à créer une nouvelle catégorie de projets, déjà testés et approuvés par un public étranger. Appartenant le plus souvent à la catégorie des films de genre (fantastique ou horreur), ces métrages, outre leur succès déjà établi, s’adressent au public-cible des majors, ceux qui vont au ciné et y dépensent des fortunes en sucreries : les adolescents.
Pour plaire à leurs ouailles (et assurer ainsi la pérennité économique du remake), les studios misent souvent sur un casting de premier choix tiré des séries télé, dont les teens sont friands. Ainsi The Grudge annonce Sarah Michelle Gellar en tête d’affiche (l’héroïne de Buffy contre les vampires), The Eye, Jessica Alba (Dark Angel) et Mirrors, Kiefer Sutherland (24h). Cette contamination du petit au grand écran offre une garantie de promotion à l’internationale (la série étant devenue la carte de visite idéale d’un acteur de par le monde) et une visibilité vers le public jeune, aboutissant nécessairement à un succès commercial.
Mais le produit vendu avec succès comporte-t-il pour autant une plus-value artistique ? À l’exception de The Departed de Martin Scorsese (version américaine d’Infernal Affairs), rares sont les remakes novateurs. Le réalisateur de Taxi Driver reprenant à son compte le film d’Andrew Lau en extrait un carcan scénaristique (un flic infiltrant la mafia tandis que cette même mafia infiltre elle, les rangs de la police) mais y insuffle des référents propres à sa culture. La mafia irlandaise y remplace les triades, la proximité physique des acteurs hongkongais (le trouble identitaire des deux personnages en miroir se révélait une épreuve pour un spectateur occidental) trouve un alter ego brillant dans le duo DiCaprio/Damon, bref le reformatage de Scorsese s’assimile à une re-création personnelle et non à un copié/collé linéaire. Malheureusement, les autres tentatives de recyclage demeurent des exemples de films ratés, dont jamais le but ne fut l’adaptation (au sens propre) mais bien plutôt une aubaine économique pour un succès à moindre coût créatif.
Si le nombre de remakes augmentent à vue d’œil, cette croissance va de pair avec un raccourcissement notable de temps entre l’original et la copie. De quatre à six ans (durée déjà relativement courte) pour Ring (1998/2002) ou The Eye (2002/2008), l’espace temps se courbe de plus en plus avec un an pour The Grudge (2003/2004) et surtout pour une autre sorte de remakes, les films européens.
Les restes du monde
En effet, l’Asie n’a pas le monopole de la revente. Déjà en 1993, alors que Nikita avait réussi à empocher plus de 5 millions de dollars de recettes sur le territoire américain, John Badham réalise le remake du film de Luc Besson titré Nom de code : Nina. Le succès commercial de Nikita version française tend à démontrer pourtant la non-recevabilité de l’argument selon lequel le public US ne supporte pas les films étrangers. Pas grave. Le pillage amorcé avec l’Asie fait un détour par chez nous et embarque au passage quelques uns des films les plus marquants des dernières années. Ouvre les yeux (Espagne, 1997) se métamorphose en Vanilla Sky (2001), Let the Right One In (Suède, 2008) devient Let Me In version outre-Atlantique (2010), Rec (Espagne, 2007) est renommé Quarantine (2008, avec Jennifer Carpenter, héroïne télé de la série Dexter), Joyeuses funérailles (Royaume-Uni, 2007) garde son titre original Death at a Funeral et sort en 2010, jusqu’à Anthony Zimmer (France, 2005) qui accouche aujourd’hui de The Tourist.
Objectivement, l’argument ethnique (difficulté de projection du spectateur dans des personnages physiquement dissemblables et soucis de référents culturels communs) ne tient plus. Que penser alors des remakes américains qui s’évertuent à singer plan par plan un film du vieux continent (Quarantine en étant le symbole le plus évident)? Seul l’argument économique paraît tenace. En effet, les films produits aux États-Unis ne sont pas uniquement destinés au marché intérieur. Le véritable succès d’un film se calcule à sa capacité à être exporté. Une fois de plus, piocher dans des films déjà tournés (le scénario abouti n’a plus besoin d’être réécrit : un public-test a déjà manifesté son soutien) offre de grandes économies de moyens. Tout le travail de développement étant déjà effectué et les projections-test ayant déjà eu lieues (grandeur nature) ne reste plus qu’à fouiner dans la manne des acteurs bankables pour doubler voire tripler la mise. Car si l’Amérique peine à la créativité scénaristique, sa suprématie ne se dément pas lorsqu’il s’agit d’interprétation. Les visages de l’Amérique (pas nécessairement américains d’ailleurs) sont reconnus partout, de Bombay à Londres, de Rio à Tokyo. Inexploitable à l’export avec Yvan Attal et Sophie Marceau, Anthony Zimmer devient un blockbuster si on y accroche les têtes de gondole Johnny Depp et Angelina Jolie. La plus-value américaine n’est plus le fond du film mais plutôt son affiche.
Les USA semblent envisager le cinéma comme une industrie quelconque. Ils laissent la manufacture aux petits pays et se contentent de gérer le marketing. Les chaussures Nike sont produites en Chine mais la conceptualisation, la publicité et la communication restent sur le territoire américain. Idem pour le cinéma. La matière première et son usinage sont étrangers mais la promotion et la visibilité restent made in USA. Et comme on oublie l’usine chinoise lorsqu’on aperçoit la virgule notoire, on escamote le film original (et son pays initial) pour ne retenir que sa version américanisée. Évidemment, pour que seule cette version perdure et parle à tout un chacun, il faut la raboter de ses excroissances culturelles originelles, la simplifier à l’extrême, la réduire finalement à un bien de consommation courant, sans aspérité et sans origine.
Le remake, nouvelle forme d’hégémonie américaine, qui absorbe l’altérité pour la rendre identique et revendable à l’infini ? Il y a fort à parier que la mécanique est en marche… même si depuis longtemps, le cinéma américain s’inspire des films étrangers. Il reste d’ailleurs le premier remaker du monde.
La grandeur d’un pays se mesure sans doute à l’aune de sa mythologie, de sa capacité à se raconter des histoires, surtout celles qui font frissonner d’effroi. Si le cinéma américain s’est emparé dès les balbutiements du 7e Art du bestiaire monstrueux de la littérature (Frankenstein, Dracula, l’homme invisible…) c’est pour insuffler à son existence récente les peurs immémoriales et les mythes fondateurs nécessaires à toute civilisation. Le recyclage de ses monstres et les modifications de leur caractérisation, à intervalle régulier, comme une remise à jour des angoisses du temps a baigné une grande partie du XXe siècle. Mais l’approche du nouveau millénaire a fait basculer cette mécanique bien huilée. La machine s’est emballée, remakant à tout va des films séminaux pour n’en donner qu’une version à la mode, plus clinquante mais dépouillée de sa sève contestataire et symbolique. Évidemment, la nuance doit être de mise car certains cinéastes se démarquent de cette simplification, usant du remake comme d’un canevas sur lequel ils peuvent projeter les peurs et questionnements inhérents à leur époque. Mais malheureusement, dans sa majorité, la production de remakes ne brille pas par son intelligence et son analyse temporelle.
Non contente de fouler aux pieds sa propre mythologie, l’Amérique a aussi jeté son dévolu sur la cinémathèque mondiale, achetant des succès nationaux pour en décupler la puissance commerciale. Si les films de genre restent sa principale acquisition, son appétit d’ogre lui fait convoiter tout ce qui brille (comédie, thriller). Considérés comme le pays de l’industrie, du capitalisme, de la liberté d’entreprendre, les États-Unis se révèlent ainsi des marchands avant d’être des créateurs, des suiveurs et non plus des pionniers, des argentiers sans souci artistique. Il est à espérer que l’accélération du processus entre original et copie finira par exploser en plein vol, obligeant les producteurs et réalisateurs à exercer leur vrai métier : nous raconter des (vieilles) histoires qui nous parlent de nous, ici et maintenant.